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BILLY GRAHAM : PORTER L’EVANGILE DANS LE MONDE ENTIER !

De toutes les personnalités évangéliques du XX° siècle dans le monde, et en tous cas dans sa seconde moitié, Billy Graham est sans conteste celui qui a connu la plus vaste notoriété, au point qu’on a pu le présenter comme un « pape protestant », ce qui constitue, notons-le de suite, un bizarre oxymore, une contradiction dans les termes. De surcroit, cette notoriété s’établit dans un ministère que nous évangéliques, honorons à raison comme représentatif par excellence de la mission dans le monde de l’évangélisme, celui d’évangéliste, celui qui se donne pour tâche de transmettre au plus grand nombre l’interpellation de la Bonne Nouvelle.

Et sans surprise, cette notoriété se fonde sur l’immensité des foules aux Etats-Unis d’abord, mais très vite dans le monde entier, constamment et inlassablement, auxquelles il lui a été donné d’adresser cet appel pressant à venir à Christ pour entrer dans une vie nouvelle. Cette vie nouvelle selon sa prédication, le Christ l’accorde individuellement à qui vient à lui pour le pardon de ses péchés. Et, appartenant à la génération de la diffusion de masse, il n’a pas hésité à recourir aux moyens technologiques les plus innovants et perfectionnés pour s’adresser à des auditoires toujours plus vastes, et même simultanément dans des capitales où il n’était pas présent physiquement.

Les chiffres, vertigineux, demandent à être pondérés : les auditoires étaient souvent largement constitués de chrétiens déjà convaincus, dont beaucoup assistaient à chaque soirée ou presque de la campagne, le chiffrage même de ceux qui répondaient à l’appel lancé chaque soir de s’avancer pour manifester leur décision est sujet à pondération (et dans les deux sens, car des décisions non manifestées ont pu être prises, et pas nécessairement sans conséquences). Billy Graham lui-même ne manque pas de reconnaître que ses succès se fondent avant tout sur l’œuvre du Saint-Esprit dans les cœurs, et secondairement, sur le travail de toute une équipe, et la collaboration sur place des églises locales. Il reste qu’il ne peut guère être contesté que sa prédication a fait davantage pour la diffusion de la foi évangélique que celle de quiconque autre que lui au cours du vingtième siècle.

En France, cette notoriété est largement sous-estimée. Les critiques de la presse de l’époque, retentissant sur le succès mitigé de ses campagnes dans notre pays, ont donné davantage d’écho qu’ailleurs aux reproches, souvent mais pas toujours mal fondés, qui lui étaient adressés ailleurs. Figée depuis lors, l’image assez caricaturale s’est transmise alors même que l’homme, tout en restant fidèle à lui-même, évoluait et gagnait une stature qui s’accorde mal avec ce portrait simpliste et tendancieux. Encore aujourd’hui, le portrait que dresse de lui l’article de Wikipédia (version française) qui lui est consacré, se contentant de reprendre non sans perfidie quelques détails controversés de sa carrière, ne cherche même pas à dissimuler son peu de prétention à l’objectivité.   En un mot, l’évangéliste mérite que son ministère soit replacé en perspective historique et réévalué. Mais d’abord, qui est Billy Graham ?

BILLY GRAHAM, NAISSANCE ET VOCATION :

William Franklin Graham Jr. est né le 7 novembre 1918 à Charlotte, en Caroline du Nord, au cœur de ce sud-est des Etats-Unis profondément marqué par le baptisme surnommé le « Bible belt », la « ceinture de la Bible » qui recouvre à peu près les limites des anciens Etats Confédérés. Ses parents, fermiers, tiennent une exploitation laitière assez prospère, mais qui sera bientôt impactée par la crise de 1929. Il est l’aîné de quatre enfants. Ses parents appartiennent à une dénomination presbytérienne du sud, ce qui inscrit la piété familiale dans une tradition de vie religieuse conformiste. L’enfant sera marqué par cette éducation au centre de laquelle sont la lecture de la Bible et le culte familial. Pour l’anecdote, à l’âge de cinq ans ses parents l’emmènent écouter la prédication d’un autre évangéliste portant le même prénom que lui, et célèbre en son temps, Billy Sunday. Le sud vit alors dans le souvenir encore frais des mouvements de réveil qui s’y sont succédés depuis le milieu du XVIII° siècle, marqués par des personnalités de grands prédicateurs comme celles de Charles G. Finney et Dwight L. Moody : c’est dans cet héritage qu’il va s’inscrire.

C’est un enfant timide, sentimental, plutôt effacé, mais débordant de vitalité. C’est à l’âge de seize ans (en 1934) qu’il se convertit lors de la prédication d’un évangéliste baptiste, Mordeccai Fowler Ham. Il s’agit pour lui d’un choix personnel, tel qu’il le présentera toujours, marqué par la simplicité, la mesure, non pas une révélation extraordinaire ni le coup d’une émotion.

Suite à sa conversion, il reçoit la conviction d’un appel divin, avec un fort désir d’engagement, et bientôt décide de recevoir une formation biblique, d’abord à l’Institut Biblique fondamentaliste de Bob Jones en Caroline du Sud en 1936.(1) Cette rigidité excessive ne convient pas au jeune Billy, qui complète sa formation dans un Institut Biblique théologiquement plus ouvert, à Tempa, en Floride. Il a une grande piété personnelle et une inclination pour l’exhortation, mais aussi un goût prononcé pour le base ball.

Il est un jeune homme au physique avantageux : grande taille, cheveux ondulés, sourire et regard charmeur, qui lui vaudra plus tard le titre d’ »évangéliste play boy », généreusement décerné par ceux qui préféreront s’attarder sur son physique pour ne pas s’intéresser à son message. Il tombe alors amoureux d’une jeune fille qui l’éconduit comme « peu sérieux ». Cette déconvenue ne l’incite qu’à une consécration renouvelée.

Celle qui sera la compagne de sa vie (jusqu’en 2007, date de sa mort), Ruth Bell, fille de missionnaires en Chine, à laquelle il s’unit en 1943, et qui lui donnera cinq enfants, lesquels s’engageront à leur tour dans le sillage paternel, est d’emblée conquise par la détermination du jeune homme à « plaire à Dieu » et à se soumettre en tout à sa volonté. Animée d’autant de zèle missionnaire que son mari, et d’une détermination absolue, elle est son premier « fan » et son aiguillon, acceptant comme une vocation ce sacerdoce obligé d’épouse d’évangéliste et les longues séparations lors des campagnes d’évangélisation qu’il impliquait. Gracieuse, elle était dotée pourtant d’un sens critique aiguisé et ne se privait pas de s’en prendre malicieusement aux manières théâtrales de son mari.

Ses premières armes d’évangéliste à grande échelle, Billy les effectue en 1944, d’abord à la radio à Chicago, puis devant la foule.

L’année suivante, il est l’évangéliste vedette de « Youth for Christ » (Jeunesse pour Christ), organisation fondée par Torrey Johnson pour toucher la jeune génération qui sort de la Seconde Guerre Mondiale. C’est lors d’une campagne à Los Angeles en 1949, qui bénéficia d’une large couverture médiatique, que sa notoriété devient nationale, en tant que « homme avec le message de Dieu pour ces temps de crise ». Il avait déjà commencé à enchaîner les « croisades » d’évangélisation à travers les Etats-Unis, et s’était même risqué jusqu’en Grande Bretagne.

SON MESSAGE :

Celui qu’il n’a cessé de marteler durant plus d’un demi-siècle d’apostolat avec une conviction impressionnante devant les auditoires du monde entier est en substance resté inchangé du début à la fin. Cette insistance obsessionnelle lui a été vertement reprochée, suscitant l’incompréhension de quiconque n’est pas familier du message évangélique. Elle tient à sa détermination sans faille à ne sortir en aucune façon, dans sa prédication du moins, de son rôle de proclamateur de la Bonne Nouvelle, avec la vocation d’interpeller ses auditeurs en les appelant à une prise de position pour Dieu comme premier pas d’une vie renouvelée. Il s’articule autour de quelques points qui demeureront constants au long de son ministère :

–          Notre monde traverse une crise profonde, et les remèdes que propose l’homme dans son orgueil sont illusoires et inefficaces. Bref, l’humanité court à sa perte et, alors que nos repères s’effacent, nous sommes voués à la désorientation, à une existence dépourvue de sens et de saveur.

–          Nous avons pourtant une boussole, une source d’autorité certaine et sûre : c’est la Bible, que le prédicateur invite son auditeur à lire attentivement, par et pour lui-même. (« La Bible dit » est une de ses formules favorites). Elle est « un message unique, clair et hardi pour chaque créature, le message de Christ et de son offre de paix avec Dieu ». Dieu est saint, et donc ne supporte pas le « péché », défini dans son essence comme la prétention à mener sa vie par ses propres moyens en se passant de Dieu. Au passage, il affirme sa croyance dans l’existence du diable et des peines de l’enfer.

–          Mais l’affirmation de la perdition de l’homme débouche immanquablement sur l’annonce de la rédemption. L’Evangile propose à tous, si profonde que puisse être leur déchéance, une « seconde chance », par la conversion. Par ce mot de « conversion », il entend essentiellement l’éveil à une foi dans l’œuvre de salut de Jésus-Christ, c’est –à-dire sa mort à la place des pécheurs suivie de sa résurrection en signe de victoire et de réconciliation avec Dieu. Mais cela ne va pas, on l’a compris, sans le préalable de la repentance qui est à la fois l’aveu par le pécheur de son état de péché, le regret des fautes commises et la décision de s’en détourner, voire d’en réparer les conséquences dans la mesure du possible. C’est la « nouvelle naissance », leitmotiv du courant revivaliste. L’accent est mis sur le fait objectif, historique du salut manifesté par la croix et le tombeau vide : la foi est fondée sur des faits, l’expérience est seulement seconde, et le sentiment vient seulement après : Billy Graham met en garde ses auditeurs contre une confiance exagérée accordée aux sentiments, en quoi il se distingue de la mouvance pentecôtisante avec laquelle il a entretenu des rapports cordiaux mais distants.

–          Le chrétien « né de nouveau », est appelé à concrètement manifester dans sa vie les transformations induites par sa conversion. C’est la « sanctification » : renouvellement dans le sens de l’amour du rapport à autrui (pardonner, se réconcilier …), renoncer aux addictions (alcool, drogue, cigarette), engagement régulier dans une assemblée chrétienne, piété personnelle (prière, lecture personnelle) : ici le prédicateur n’hésite pas à se poser en directeur de conscience d’une humanité en mal de repères. Le parachèvement universel de l’œuvre du salut par le règne final du Christ est le plus souvent évoqué.

–          Le message se termine invariablement par un appel adressé à chacun à manifester sa décision d’accepter le Christ en tant que Sauveur et Seigneur en s’avançant devant l’estrade. Répartis dans l’assistance et formés à cet effet, des conseillers, autant que possible un pour chaque personne qui s’avance, l’accompagne pour ébaucher en entretien un suivi personnel, premiers conseils et mise en relation avec une église participante. (2)

GRAHAM ET SON ÉQUIPE. «L’ORGANISATION GRAHAM » :

Le charisme personnel ne suffit pas à expliquer de tels succès, pas plus qu’un homme ne saurait à lui seul déplacer de telles foules. Derrière Billy Graham existait une organisation solide, efficace et considérable.

Les campagnes internationales n’étaient pas le fait de son initiative, ni de décisions arbitraires. Il ne se déplaçait que sur invitation du ou des pays concernés, ce qui impliquait sur place la constitution d’un comité composé d’une union d’églises qui se formait à cet effet. De fait, les demandes furent très tôt si abondantes que l’évangéliste dut les sélectionner (il refusa longtemps les invitations en Afrique du Sud en raison de l’apartheid) et imposer de longs délais d’attente. Dans le pays visité, l’organisation supposait, animées par des membres de son équipe et en collaboration avec les églises invitantes des sessions de formation de placeurs, de chorales, de conseillers des mois à l’avance. Le programme des rencontres elles-mêmes mettait en jeu une équipe qui resta étonnamment stable : Cliff Barrows, chef de chorale, était l’organisateur de programme des campagnes, George Beverley Shea, le soliste vedette ; en retrait, T.W. Wilson, l’homme à tout faire, et Walter Smyth, spécialiste des affaires internationales. Ce fut une équipe efficace, qui sut mettre en valeur le leader sans lui faire de l’ombre et en le déchargeant des questions d’organisation.

Mais Billy Graham ne limitait pas son activité aux campagnes d’évangélisation, pourtant nombreuses et pratiquement enchaînées. Viennent s’y ajouter dès l’origine les émissions radio, puis bientôt télévisées, la rédaction de méditations quotidiennes, puis de nombreux ouvrages dont le plus connu « La Paix avec Dieu » fut un best- seller, l’édition d’un magazine «  The Hour of Decision » (Décision), le tournage de films mettant en vedette la prédication de l’évangéliste, enfin l’utilisation d’ internet, la préparation de congrès d’évangélisation, sans compter le recours massif à la publicité. En-dehors mais surtout à l’occasion des campagnes, la publicité est utilisée sous de multiples formes et n’hésite pas à utiliser parfois à outrance l’image du prédicateur traité en vedette. Le but, louable, était d’attirer les foules, mais ce choix de méthode contribua puissamment au résultat discutable de forger la réputation de « star à l’américaine » de Graham. Toutes ces différentes formes d’activité nécessitèrent assez tôt l’installation à Minneapolis d’un état-major général employant des centaines de personnes (secrétaires, téléphonistes, gestionnaires, archivistes, spécialistes de la collecte de fonds …), la BGEA (Association Billy Graham d’Evangélisation).

L’activité de cet énorme complexe, aux bureaux pourtant étonnamment sobres, s’est caractérisée sous la direction de George Wilson par une obsession de l’économie qui a permis à Billy Graham de trancher avec les réalisations immobilières d’autres télévangélistes américains qui prêtèrent à juste titre à la critique. Il y régnait une atmosphère familiale et recueillie, employant souvent durant toute leur carrière des milliers d’anonymes qui acceptaient de mettre entre parenthèses leurs ambitions personnelles au service de Dieu, à travers le dévouement à l’évangéliste.

DU « CHAMPION DE L’EVANGILE » FACE À LA GUERRE FROIDE À L’ICÔNE ÉVANGÉLIQUE DU XX° SIÈCLE :

La permanence de l’homme dans sa silhouette, son engagement, ses méthodes, l’intangibilité de son message risquent de masquer l’incontestable évolution d’un prédicateur qui n’aurait sans doute pas pu pérenniser son succès à travers plus d’un demi-siècle qui a connu tant de bouleversements s’il était resté absolument tel qu’à ses débuts.

Billy Graham est né dans un monde qui sortait à peine de la Première Guerre Mondiale. Il débute son ministère alors que la Seconde n’est pas terminée, dans un monde profondément traumatisé et bouleversé, mais qui pouvait sembler étonnamment simple : l’Amérique, championne de la chrétienté, (tout au moins, elle peut se percevoir comme championne de la chrétienté évangélique), en même temps que de la démocratie, était victorieuse, mais la conflagration dont on sortait démontrait l’immensité des dangers. Parmi eux, une menace gagnait un statut chaque jour plus surplombant : celle d’un athéisme militant, idéologie officielle d’un empire qui, occupant déjà un immense territoire, ne cessait de gagner du terrain. Bientôt après se dessine la menace de l’apocalypse nucléaire, alors que le retour d’Israël en terre promise annonce la réalisation des prophéties de la fin des temps.

La vocation de l’évangéliste s’inscrit donc sous le signe de l’urgence (arracher à la perdition éternelle le plus grand nombre possible de personnes ouvertes à l’accueil de son message dans un délai qui ressemble à un compte à rebours), une urgence qui est le lot de tout évangéliste (elle est déjà perceptible chez l’apôtre Paul), et qui l’habitera durant tout son ministère (d’où cette multiplication de campagnes aux objectifs toujours plus vastes). Elle s’inscrit aussi sous le signe de l’universalité, d’une vocation mondiale, et non limitée aux seuls Etats-Unis. Dès le début Billy Graham refuse dans ses campagnes la collaboration de toute église qui pratique la ségrégation raciale. Dans le contexte du Bible Belt des années 50, ce n’est pas rien. Mais d’un point de vue socio-culturel, cette vocation s’inscrit surtout sur un fond de guerre froide où l’anticommunisme s’invite comme naturellement dans le message évangélique. Billy Graham prêche un évangile qu’il ne prend ni le temps ni la peine d’adapter au contexte culturel changeant des pays traversés (à peine quelques allusions à Sartre, à Camus lorsqu’il prêche à Paris …) mais où les a priori propres à la civilisation américaine dont il est issu sont bien perceptibles. Sa vision du monde est alors manichéenne, le camp du Bien (l’Amérique, et son mode de vie) est approuvé sans réserve, et l’imminence de l’Apocalypse, un thème favori de sa prédication. Pas étonnant qu’il soit accueilli assez fraîchement à Paris par l’opinion, dans une France qui vote alors communiste à 25 %, et même plus tard, dans la France d’un De Gaulle soucieux de se démarquer de l’influence américaine. Les accusations d’agent de la propagande anticommuniste sont injustes ; celles de simplisme portent davantage.

Mais Billy Graham considère comme de son devoir de fréquenter les dirigeants politiques, ne manquant jamais de porter le message de l’évangile. Et, étant star lui-même, il tend à être fasciné par les hommes de pouvoir, non sans naïveté quelquefois. S’il pouvait tirer bénéfice de leur aura en termes de notoriété, le rayonnement qu’il exerçait constituait un atout électoral auquel les candidats à la Maison Blanche n’étaient pas insensibles, et il pouvait être avantageux pour eux de se dire proches de lui, comme ce fut le cas de nombre des présidents des Etats-Unis. Il marque une admiration particulière envers Richard Nixon, et la chute de celui-ci, qu’il ressent comme une trahison, l’amène à davantage de prudence, et aussi à une appréciation plus critique de la politique américaine : il commence donc à évoluer, à partir des années 70.

Par ailleurs, ses succès font qu’il est demandé bien au-delà des frontières de son appartenance religieuse, d’abord dans la mouvance protestante par des églises traditionnelles dirigées par des pasteurs modernistes qui, tout en critiquant le « simplisme » de son message, attendent de son aide qu’il retienne des fidèles qui désertent leurs cultes. Plus tard, l’église catholique d’après Vatican II, désireuse de s’ouvrir, regarde non sans quelque envie les foules qui se pressent à ses campagnes alors qu’elle subit la même désaffection.

Plus tard encore, dans un contexte de détente, les églises des pays communistes (dont les catholiques ne sont pas les dernières !) font appel à lui, et il se trouve que les gouvernements mêmes de ces états trouvent avantage à faire montre de leur esprit d’ouverture en lui faisant bon accueil, voire en lui permettant d’imprimer et de diffuser une littérature évangélique qui y fait cruellement défaut. Comment réagir ? Billy Graham partage les réticences des fondamentalistes : pour lui aussi, hors d’une démarche personnelle de foi en Jésus-Christ, pour laquelle les parents ne peuvent s’interposer, pas de salut. Alors, se poser en gardien de la pureté doctrinale ? Il estime que ce n’est pas son rôle, et son tempérament porté à la conciliation le pousse dans le même sens. Pour lui, toute occasion d’annoncer l’évangile mérite d’être saisie à tout prix, et il considère que c’est précisément à ses messages à dissiper les ambiguïtés dans lesquelles on prétend l’enfermer.

Et puis, au fil de ses incessants voyages, et si superficiels que soient ses contacts avec les populations visitées, il apprend. En Afrique, le contre-témoignage insurpassable pour les Africains que représente la ségrégation raciale aux Etats-Unis en ces années. En Inde, la compassion pour la misère concrète (pas seulement l’état de perdition des âmes) des conditions de vie de foules immenses, et l’humanitaire devient un des axes de l’activité de l’Association Graham. Derrière le Rideau de fer, il découvre non pas l’Empire des Ténèbres, mais des hommes et des femmes qui avaient avec lui un « air de famille », et des chrétiens comme lui soucieux d’apporter l’évangile dans des conditions difficiles. En visite à Auschwitz, il lance un appel à « tous les chrétiens » à s’unir « pour la paix », et désormais le combat pour la paix et le désarmement devient un thème récurrent de sa prédication. Peu à peu, sans vraiment entrer dans l’analyse des causes socio-économiques des inégalités, il marque une attention nouvelle aux questions sociales et de développement, tous ces nouveaux thèmes restant articulés à son message essentiel visant la conversion.

Ainsi, en 1978, après une campagne pleine de promesses en 1977 en Hongrie, il fut invité par le Conseil œcuménique polonais. L’évêque de Cracovie, Karol Wojtila (futur Jean-Paul II) fut l’un des artisans les plus actifs de sa venue : il s’était signalé depuis longtemps par son souci de l’évangélisation, en appuyant le mouvement de polonais de jeunesse catholique, en lien avec le courant charismatique catholique mais aussi avec des protestants évangéliques. Les deux hommes ne purent alors avoir la rencontre prévue : le jour même où Graham atterrit à Cracovie, Karol Wojtila s’envolait pour participer à Rome au conclave qui devait l’élire pape.

Les deux hommes purent se voir au cours des années suivantes. On n’a pas manqué de souligner à propos de Jean-Paul II combien l’itinérance incessante de ce dernier, avec l’organisation de messes spectaculaire rassemblant des auditoires de dizaines ou centaines de milliers de personnes paraissaient calqués sur les méthodes de Billy Graham, avec le même souci de s’adresser aux foules, et sûrement aussi le souci de le concurrencer sur son propre terrain. On le voit, le parallèle entre les deux hommes est propre à donner quelque consistance à ce titre de « pape protestant » décerné à Billy Graham, par ailleurs totalement inapproprié. (3)

LE POIDS DE L’ÂGE :

C’est, souvenons-nous-en, en 1978, qu’eut lieu la fameuse campagne en Pologne préparée avec zèle par Karol Wojtila en instance de devenir le pape Jean-Paul II, et la rencontre manquée de peu entre les deux hommes. Billy Graham a alors soixante ans. A cette époque les campagnes restent nombreuses voire constantes et couvrent tous les continents, avec des étapes significatives, URSS (1982, en dépit de l’opposition de l’Administration Reagan), République populaire de Chine (1984). Puis elles s’espacent quelque peu, mais sans rien perdre en impact.

C’est à partir de l’âge de soixante-quinze ans (1993) que l’évangéliste doit ralentir son rythme de plus en plus. Dès lors, les campagnes à l’étranger deviennent l’exception, et celles qu’il poursuit aux Etat Unis deviennent plus courtes. C’est que depuis 1990 il souffre de la maladie de Parkinson qui va l’affecter de plus en plus. En 1995, victime d’un malaise à la veille de sa campagne de Toronto, il doit se faire remplacer ; la campagne n’en est pas moins un succès. Il réunit toujours de vastes auditoires dans les dernières années du siècle. En 1999, accompagné de Jimmy Carter, il lance une initiative évangélique en vue de lever l’embargo en Irak.

En 2000, (à 82 ans !), il prêche encore, dans le Tennessee, puis en Floride. En revanche, sa santé l’empêche de participer en personne comme prévu au grand congrès pour l’évangélisation du monde d’Amsterdam (juillet-août 2000), avec 10 000 évangélistes venus du monde entier, et du Tiers Monde pour les ¾ : absence compensée par la présence de deux de ses enfants. Un mois après les événements du 11 septembre 2001, il lance une campagne de quatre jours en Californie. A quatre-vingts ans, il tente encore, pour la première fois, une croisade « connectée » diffusée sur Internet. Jusqu’au bout de ses forces il aura porté le message de la réconciliation avec Dieu. (4)

(1)    Par « fondamentaliste », il faut entendre un enseignement fortement axé sur une compréhension littérale de la Bible, et sur la primauté absolue des points fondamentaux de la doctrine biblique.

(2)    Tous ces développements sont sans originalité aucune par rapport à la « ligne » théologique du protestantisme évangélique. Dans le cadre protestant, ils n’ont pas manqué de susciter deux types de critiques.

D’un côté les milieux libéraux ont taxé Graham de simplisme et d’immobilisme. Lui-même a eu de réels échanges avec des théologiens de premier plan, notamment Karl Barth (qu’il serait abusif de cataloguer comme « libéral ») et dont il se sentait suffisamment proche pour l’amener à une période de doute, qu’il résolut finalement par adhésion renouvelée à l’autorité plénière de la Bible, parole de Dieu sans restriction. La médiation nécessaire d’une quelconque théologie sophistiquée ne pouvait selon lui en aucun cas s’interposer entre la Bible et le plus humble des croyants.

A l’autre extrémité de l’éventail, il a subi les attaques des fondamentalistes, dont il se distingue, fait assez peu connu chez nous européens. Au sens strict, le fondamentalisme, branche radicale du protestantisme évangélique, se définit notamment, outre par la foi en l’inerrance de la Bible (la Bible ne contient aucune erreur – foi à laquelle Billy Graham adhère avec nuances), par le séparatisme, l’obligation de se séparer de quiconque collabore avec les libéraux. C’est de ce côté que sont venues les critiques les plus constantes et les plus virulentes, les accusations de compromission avec les catholiques, avec l’apostasie libérale, avec un œcuménisme inclusiviste risquant de conduire à une « Eglise œcuménique globale ». Il est en outre dénoncé comme franc-maçon, et comme traître à ses convictions premières sur les questions de société (pastorat féminin, problème de l’injustice sociale, la question de la menace communiste …) A partir des années 70, il a manifestement évolué sur la lutte contre la pauvreté, l’ouverture aux enjeux sociaux ou le dialogue Est-Ouest, une évolution stigmatisée comme une série de trahisons.

(3) C’est que, contrairement à Jean-Paul II, Billy Graham ne s’est jamais posé en représentant d’une Eglise en tant qu’organisation mondiale et centralisée. Le protestantisme évangélique se présente plutôt comme un archipel, ou réseau, d’Eglises locales, où les liens identitaires d’appartenance sont d’abord religieux, sur la base de la conversion individuelle. Les protestants évangéliques ont massivement refusé « dès le temps des Réformes », une territorialisation des appartenances (l’appartenance à une église nationale organisée en « diocèses » et « paroisses ») au nom du primat du choix individuel de conversion. Le corollaire est un refus de se situer par rapport à des déterminations nationales, sociales ou culturelles.

C’est cette « culture de l’espace » qui a déterminé les voyages de Graham. C’est en fonction de « l’archipel » (du réseau) des Eglises et institutions évangéliques (progressivement élargi au catholicisme), qu’il a organisé ses périples. Mais il a aussi travaillé à en accroître la cohésion jusqu’à la construction d’une forme de « catholicité évangélique » caractérisée par l’absence de centralisation et l’exemplarisation de la conversion.

C’est ce que permirent de réaliser les congrès d’évangélisation organisés par la BGEA, qui comptent parmi les plus grands rassemblements interconfessionnels de responsables chrétiens du XX° siècle, et dont le plus marquant fut celui de Lausanne en 1974, dans l’optique de constituer, plutôt qu’une structure pérenne, comme l’Eglise catholique ou le Conseil OEcuménique des Eglises, une organisation fonctionnelle souple.

(4)    Cette notice doit beaucoup à l’ouvrage de Sébastien Fath : Billy Graham, pape protestant ? Edition Albin Michel. Collection Sciences des religions.