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BIOGRAPHIE D’ADONIRAM JUDSON (1788 – 1850)

La vie d’Adoniram Judson  se lit comme un roman, tant en raison de la personnalité, assez atypique et complexe de ce missionnaire, que d’une destinée qui l’a amené bien malgré lui à jouer un rôle déterminant bien qu’en coulisse à un moment crucial de l’histoire du pays auquel il a consacré sa vie. Premier missionnaire baptiste américain, il fut aussi le premier qui ait compté à prêcher le Christ en Birmanie, l’un des premiers missionnaires américains à l’étranger.

Jeunesse et formation

Adoniram Judson Jr est né en 1788 à Malden dans le Massachusets, près de Boston, d’Adoniram Judson Sr, pasteur congrégationnaliste. A l’âge de 16 ans, il entre à l’Université dont il sort à 19 ans diplômé et major de sa promotion. Pendant ses études, il se lie d’amitié avec un condisciple déiste et sceptique, se passionne pour les philosophes français et s’écarte des convictions chrétiennes dans lesquelles il a été élevé. Dans les Etats-Unis du tout  début du XIX° siècle, le souvenir de La Fayette est tout frais dans les esprits et le prestige de la France révolutionnaire à son apogée. Cette orientation précoce n’est sans doute pas sans rapport avec l’accent qu’il mettra bien plus tard sur l’importance d’évangéliser la France, et l’impulsion qu’il donnera favorisera l’implantation du baptisme dans notre pays. A l’issue de ses études, Judson milite pour le mouvement des Lumières, fonde une école et écrit des manuels scolaires. De par sa tournure d’esprit et par sa formation, Adoniram  Judson est authentiquement un intellectuel, ce qui n’est pas indifférent pour un futur apôtre dans un pays de culture aussi riche et complexe que la Birmanie. Et sur le plan personnel, cela n’est pas sans rapport avec les doutes et tourments d’esprit  qu’il va connaître.

Son inscription au Séminaire Théologique d’Andover marque pourtant une inflexion, mais c’est le décès tragique et subit de son ami, dans une chambre d’auberge voisine de la sienne, ce qui lui fait entendre ses cris d’agonie alors qu’il ignore de qui il s’agit, qui le ramène brutalement à la foi chrétienne de son enfance. Entier dans ses convictions, il s’engage solennellement au service de Dieu, et dans sa dernière année de théologie choisit la carrière missionnaire.

En 1810, il se joint aux « Frères », un groupe d’étudiants d’Andover ayant à cœur la mission (ce qui est une nouveauté aux Etats Unis), lesquels inspirent l’établissement de la première société missionnaire organisée d’Amérique. Convaincu que l’effort missionnaire doit porter en priorité sur les foules « idolâtres » de l’Asie, il sollicite, avec trois autres étudiants du séminaire, le soutien financier des Congrégationalistes et obtient la création d’une agence pour le soutien des missions à l’étranger.

Conscient de la nécessité de modèles dans l’organisation de l’effort missionnaire américain, il s’embarque début 1811 pour prendre conseil auprès de la Société Missionnaire de Londres, mais en plein blocus des îles britanniques par Napoléon, le vaisseau sur lequel il voyage est capturé et détourné sur l’Espagne, et ce n’est que par un détour par Bayonne, où il est brièvement emprisonné, Paris et Morlaix, qu’il atteint sa destination.

Ordonné en tant que missionnaire congrégationaliste en Orient, il épouse en février 1812, juste avant son départ, Ann Hasseltine, (1789-1826)  une jeune institutrice ayant la vocation d’une vie de consécration utile au Seigneur. Le 19 du même mois, avec un autre missionnaire, ainsi qu’un autre couple missionnaire, le jeune couple s’embarque sur le brick Caravan à destination de Calcutta.

Les péripéties d’une vocation

Pendant les 6 mois de la traversée, Adoniram lit une étude sur la théologie baptiste et acquiert la conviction qu’elle seule est en conformité avec la consigne du Seigneur à la fin de l’évangile selon Matthieu, qui définit sa propre vocation. Arrivé en Inde, il se confesse Baptiste, et se fait ainsi que son épouse baptiser par immersion par un missionnaire anglais. Cette conversion implique le renoncement à ses soutiens financiers américains ? Qu’à cela ne tienne ! Il demandera le soutien des Baptistes d’Amérique. Luther Rice, l’un de ses compagnons de voyage missionnaire, lui aussi converti, renvoyé pour de graves raisons de santé, est dépêché pour cela aux Etats-Unis et obtiendra l’année suivante, grâce à l’appui de William Carey (missionnaire baptiste anglais en Inde) la formation de la première société baptiste américaine de soutien des missionnaires à l’étranger.

Mais nos missionnaires parvenus sur le sol indien ont à faire face à bien d’autres soucis. Ils sont en effet loin d’être les bienvenus dans cette colonie anglaise : pendant leur voyage les Etats-Unis ont déclaré la guerre à l’Angleterre (c’est la guerre anglo-américaine de 1812), et de toute manière ni les autorités britanniques ni, et encore moins, la Compagnie Anglaise des Indes Orientales ne tolèrent la présence de missionnaires. Expulsés, les deux couples ont, chacun de son côté à rechercher un nouveau champ de mission. Pour les Judson, c’est en juin 1813, l’embarquement dans des conditions précaires pour la Birmanie.

L’épreuve d’une vocation

Pendant la traversée, Anne fait une fausse couche de leur premier enfant.

Leur accueil en Birmanie n’est guère plus encourageant qu’en Inde. Le climat de Rangoon, chaud et extrêmement  humide, est très éprouvant pour des anglo-saxons, et le couple doit à plusieurs reprises se séparer pour des séjours de santé au Bengale. Les premiers missionnaires qui viennent les rejoindre décèdent les uns après les autres à cause du climat, parfois à peine arrivés.

Bouddhiste, le pays est d’une intolérance farouche à toute tentative d’implantation d’une religion étrangère, et le sort ordinaire des chrétiens est la mort par le mode d’exécution en usage, soit la crucifixion après éventration. En séjour plus ou moins irrégulier, les missionnaires sont à la merci d’autorités locales irrationnelles et corrompues, et d’un pouvoir royal fantasque et à l’occasion cruel.

Surtout, l’efficacité de leur mission est d’emblée subordonnée à l’acquisition de la langue, et une fois surmonté le défi de trouver un professeur complaisant, l’apprentissage d’une grammaire d’une remarquable complexité et d’un fonctionnement totalement étranger à celui des langues européennes requiert trois années de labeur acharné avant toute tentative d’évangélisation. Mais l’acquisition de la langue débouche aussitôt sur la traduction de la Bible, l’évangile de Matthieu d’abord, puis le Nouveau et enfin l’Ancien Testament.

Pendant ces années, l’intransigeance un peu raide d’Adoniram est tempérée par le pragmatisme d’Anne qui, sans compromission avec la corruption ambiante, sait gagner la sympathie des personnalités influentes par des cadeaux sans valeur marchande, mais appréciés en tant que symboles d’une civilisation auréolée du prestige de l’inconnu.

En 1816, leur second enfant, Roger William Judson meurt, à l’âge de huit mois, à l’immense douleur de ses parents. A la fin de cette même année, Adoniram, en partie pour raison de santé, en partie dans l’espoir de ramener en renfort un pasteur indigène, entreprend sur un caboteur local un voyage à Chittagong dans le golfe du Bengale, mais un terrible orage les déroute et les laisse en panne dans un calme de feu. Bien des semaines plus tard, il est recueilli à demi-mort par les Anglais à Masulipatam, dans l’Andhra Pradesh, très au nord de Madras, ville où il arrive, rétabli, en avril 1818. C’est là, au cours de la longue attente d’un départ pour Rangoon, qu’il entend au hasard d’une conversation parler de l’œuvre de Madame Guyon, une catholique française du XVII-XVIII° siècle, instauratrice du quiétisme, dont le mysticisme, par contraste avec le bouddhisme auquel il se trouve confronté, devait faire sur lui une forte et durable impression. Il ne retrouve Rangoon et Anne qu’en août.

La mise en œuvre d’une vocation

Entretemps, les Judson ont reçu des renforts, et notamment, dès 1816, celui d’un couple, les Hough, de braves gens très simples, dont le mari, imprimeur, avec le matériel propre à permettre la diffusion de l’évangile de Matthieu dont Adoniram vient de terminer la traduction. La prédication de l’évangile devient envisageable, en dépit des affreuses menaces qui pèsent sur la vie des éventuels convertis. Le missionnaire construit au bord de la rue voisine de la mission un « zayat », un abri à la mode birmane de bambou couvert de chaume, un peu surélevé, lieu de méditation et de prière, où prononcer ses sermons, qui n’attirent d’abord que des curieux et ne rencontrent qu’une quasi-totale indifférence. Le tout premier croyant birman est baptisé en 1819. L’un des premiers disciples est le professeur de birman du couple, un moine bouddhiste défroqué dont le scepticisme trouve un écho dans celui qu’a éprouvé Adoniram dans sa jeunesse.

A la faveur d’une succession royale, Adoniram, accompagné d’un missionnaire nouveau venu, Colman, entreprend  d’arracher au nouveau roi, l’autorisation de répandre la foi chrétienne sans crainte de représailles. Mais l’expédition est un échec, et le roi Bagyi-Daw rejette leur requête.

Un repli vers Chittagong, hors de Birmanie, est envisagé comme une solution désespérée, mais les supplications des quelques convertis et sympathisants aspirants au baptême retiennent les missionnaires. Les préparatifs guerriers détournent l’attention des autorités. Adoniram  va jusqu’à mettre sa vie en jeu pour sauver du supplice une femme accusée de sorcellerie, puis son propre disciple qui s’est interposé, et son courage parvient à fléchir le juge.

La prédication d’Adoniram Judson se caractérise à la fois par sa conviction ferme de la rationalité du christianisme, une croyance ferme en l’autorité de la Bible, et la détermination de rendre la foi chrétienne accessible aux Birmans sans en altérer l’intégrité, ou, selon ses paroles, « prêcher l’évangile, non l’anti-bouddhisme ». A titre personnel, il voue une grande admiration à la littérature birmane, qui le fait apprécier des lettrés qu’il est amené à fréquenter, mais sans aucune complaisance pour le bouddhisme, qu’il juge nihiliste et desséchant.

En 1823, dix ans après l’arrivée des Judson en Birmanie, mais après seulement 6 années d’évangélisation effective, l’église de Rangoon compte 18 membres, bien loin des statistiques triomphales d’autres missionnaires. La situation de ces chrétiens demeure extrêmement fragile, mais ils sont tacitement tolérés au su des plus hautes autorités. Ce faible nombre du reste se comprend dans un pays pionnier au nationalisme très sourcilleux et face à une toute puissante religion d’état. Et puis, Adoniram est l’auteur d’une grammaire de la langue toujours utilisée aujourd’hui, et la traduction de la Bible est en cours, (celle du Nouveau Testament vient d’être achevée), une traduction qu’au XX° siècle on n’a pas jugé utile de réviser. Quant à Anne, elle a dû rentrer aux Etats-Unis pour un séjour motivé par sa santé.

Dès décembre 1821, la mission a reçu le renfort du couple Price, le docteur Jonathan Price et son épouse. Cet habile chirurgien, assez imbu de sa personne et plutôt ambitieux, se voit appelé suite à ses succès au service personnel du roi, et malgré lui Adoniram, contraint de l’accompagner, se rapproche d’un pouvoir envers lequel il n’a qu’une méfiance justifiée.

La Guerre Anglo-Birmane (1824-1826)

La guerre qui couvait depuis longtemps éclate enfin, provoquée par l’ambition follement irréaliste du souverain birman de conquérir l’Assam, voire même le Bengale au mépris de la présence anglaise, (le roi Bagyi-Daw finira par sombrer dans la folie), dans une totale inconscience de la puissance d’une armée moderne. L’Angleterre, qui a assez à faire avec son empire indien, ne se soucie aucunement de conquérir la Birmanie, mais ne peut laisser sans réponse les provocations de son turbulent voisin. Les désastres les plus cinglants ne découragent pas les birmans. En revanche, la prise de Rangoon éveille les pires suspicions envers tous les étrangers. Confondus avec les Anglais, accusés d’espionnage, Judson et Price sont arrêtés sans ménagement et incarcérés dans des conditions abominables dans la sinistre prison surnommée « la main qui tue ».

Tout au long des dix-sept mois que durera cette incarcération, Anne, seule occidentale dans un pays impitoyable et en guerre, ne cessera de s’activer pour procurer aux prisonniers nourriture et adoucissements, et pour harceler les autorités en vue d’obtenir leur libération, tout en faisant face aux difficulté d’une grossesse, puis à l’allaitement de leur petite fille, Maria.

Toujours lors de cet emprisonnement, les prisonniers sont subitement extraits de leur prison, puis contraints à se traîner à pied, enchaînés par deux, jusqu’à Aungbinle, petit village proche d’Amapura, où ils subissent des conditions un peu moins inhumaines. Au fil de sa détention, Adoniram se voit rejoint dans sa prison, outre par ses anciennes connaissances, et au fur et à mesure des défaites successives de l’armée, par les anciens dignitaires tombés en disgrâce qui ne sont pas simplement exécutés.

Pour finir Adoniram est subitement  libéré et convoqué auprès du roi en tant qu’interprète dans les pourparlers avec les Anglais. Conseiller du roi par la force des choses, il s’efforce de le convaincre ainsi que les plénipotentiaires, de la force pour les Anglais de cette considération totalement incompréhensible pour eux, de ce qu’est le sens de l’honneur, qui fait qu’on n’abuse pas d’une situation de force lorsqu’on a donné sa parole, et notamment qu’on respecte les termes du traité qu’on a signé. Et l’invocation du christianisme, appuyée par l’exemple qu’il n’a cessé de donner, est l’argument qui finit par emporter leur conviction et permettre, après bien des tergiversations,  la signature de l’armistice. Certains ont voulu voir dans cette acceptation de jouer ce rôle dans la négociation d’un traité la preuve d’une complicité avec l’impérialisme, mais il convient de souligner qu’il a été appelé à intervenir comme traducteur du côté des Birmans vaincus, bien difficiles à dissuader d’une fuite en avant suicidaire, et non pas dans le camp des occidentaux victorieux.

Adoniram n’est cependant pas au bout de ses peines. Il est brusquement congédié et renvoyé prisonnier à la capitale, puis à Rangoon où il retrouve Anne, qui se relève à peine de la typhoïde, et leur fille. Mais pour que le traité de Yandabu soit finalement signé en février 1826, il faudra encore d’interminables barguignages et atermoiements de la part des Birmans sur le montant de l’indemnité à verser, et que les troupes britanniques s’avancent jusqu’aux portes de la capitale. Le manuscrit de la traduction de la Bible, perdu par le missionnaire dans sa prison, a été mis à l’abri et lui est restitué.

Détresse et nouvelles perspectives

Objectivement, il est vrai, l’intervention anglaise a considérablement amélioré les perspectives de l’action missionnaire en Birmanie. Non seulement la proximité des troupes anglaises empêche les Birmans d’interdire la diffusion du christianisme, mais encore par le traité de Yandabu des provinces frontalières ont été cédées aux Anglais, notamment le Tenassérim, cette bande de territoire au sud-est frontalière avec le royaume de Siam (l’actuelle Thaïlande) qui descend le long de la mer d’Andaman. Cette province est peuplée principalement, non de birmans bouddhistes, mais de tribus animistes dont les Karens qui vont se montrer infiniment plus ouverts à l’évangile. Et la gratitude des nouveaux maîtres Anglais envers Adoniram les dispose favorablement.

Mais la mission à Rangoon est ruinée et décimée et lui-même, subissant le contrecoup de la terrible épreuve et de l’inhumaine tension nerveuse liée au rôle de négociateur qu’on lui a imposé est en grave dépression. Sur le conseil d’Anne, il accepte d’accompagner en mission d’exploration dans le Tenassérim le nouveau gouverneur civil, John Crawfurd, avec lequel il lie une amitié profonde, puis d’y  transporter la mission à Amherst où le climat est plus favorable, enfin d’accompagner Crawfurd pour la négociation du traité commercial complémentaire de celui de Yandabu. C’est alors, en novembre 1826, qu’il apprend le décès de sa bien-aimée Anne, emportée par la fièvre. La petite Maria la suivra six mois plus tard.

Anéanti, il doit pourtant faire face à de nouveaux défis, notamment l’arrivée de nouveaux couples missionnaires et au redéploiement de la mission en fonction des nouvelles perspectives. Les Boardman,  George, qui se préparait depuis la mort de Colman en 1822 à venir le remplacer, et Sarah, une amie de la famille Judson depuis longues années, arrivés à Calcutta en 1825, y étaient restés pour s’initier à la langue, et aussi attendre leur premier enfant et la fin de la guerre. Ils promettaient d’être les recrues les plus remarquables de la mission, et Judson les envoie, et les accompagne à Moulmein, la nouvelle capitale du Tenassérim en pleine expansion, où il se jette à corps perdu dans son travail de traduction et d’évangélisation pour échapper à sa détresse.

Une fois encore, comme c’était souvent  le cas dans les moments critiques de sa vie, il ne peut s’empêcher de recourir à la relecture de Madame Guyon, tout en sachant très bien qu’il  boit là à une source décevante. Son âme ardente et éprise d’absolu l’incline à un mysticisme qui vibre à l’unisson du rêve de la française de vivre des épousailles avec le Christ, mais son  esprit rigoureux et analytique le rend peu apte à ressentir simplement au quotidien la présence de Dieu. Et dans les périodes de forte tension ou d’épreuve, ce ressenti d’une absence de Dieu lui est insupportable. Insupportable, pour lui qui vient apporter aux Birmans la bonne nouvelle d’un Jésus qui frappe à la porte du cœur, insupportable, alors qu’il est investi de la responsabilité d’une équipe missionnaire qui se repose sur lui. Il abandonne tous ses droits sur l’héritage de son père, détruit le manuscrit de traductions de littérature birmane qu’il a faites, et finit par se réfugier dans une hutte qu’il construit en pleine jungle, où il passe en méditation plusieurs heures par jour, tout en continuant à prêcher au zayat, avec davantage de succès qu’auparavant. Seule Sarah Boardman, très inquiète de sa profonde détresse qu’elle perçoit, ose l’affronter pour tenter sans succès de le ramener à plus de raison.

En 1829, il envoie les Boardman à Tavoy, encore plus au sud. Le docteur Price meurt de la tuberculose à Ava ; l’église de Rangoon s’est reconstituée autour d’un chrétien birman qui vient lui demander d’ être ordonné pasteur. Celle de Moulmein a des débuts encourageants, et il en est de même parmi les Karens de Tavoy. Mais George Boardman, gravement atteint de tuberculose, est condamné à brève échéance. Adoniram décide de renoncer à sa retraite et de retourner à Rangoon .

Mais, considéré désormais comme l’ami des Anglais, on lui fait sentir qu’il y est indésirable. Contrecarré dans sa liberté de répandre l’évangile à Rangoon, en 1831 il remonte l’Irrawady prêchant et distribuant des brochures à chaque escale, s’installe à Prome à 160 km plus au nord, et y poursuit  la même activité d’évangélisation, suscitant l’intérêt des auditeurs, mais il reçoit l’ordre de quitter le pays. Les compagnons missionnaires laissés à Rangoon, gravement malades, ont dû abandonner le pays d’urgence et, seul blanc capable de prêcher en birman, il y retourne, forcé de remettre son voyage à Ava, la capitale, où il comptait tenter de fléchir le roi. A Rangoon, il se relaie dans la prédication avec Maung  Ing, le pasteur birman peu éloquent mais apprécié de la population, et se remet avec ardeur à la traduction de la Bible. Dans un indigène qui demande le baptême il reconnaît le premier à qui il a remis un évangile de Matthieu 12 ans plus tôt, plus que jamais convaincu de l’importance de la Parole écrite pour la conversion des Birmans. Une lettre de Sarah lui apprend la mort de George Boardman, où elle exprime sa détresse, qu’il est lui-même bien apte à mesurer.

Adoniram est bientôt forcé de reconnaître que depuis sa lettre, la pensée de Sarah ne cesse de le poursuivre, alors que jusqu’ici l’idée de remplacer Anne ne l’avait même jamais effleuré. De fait il comprend l’inanité des mortifications qu’il n’a cessé de s’imposer en suivant les conseils de Madame Guyon, de l’impossibilité d’atteindre la contemplation de Dieu par ce moyen, et aussi de sa double trahison vis-à-vis d’un Dieu qui recommande de faire « de tout ce qui est juste, pur, vertueux, digne de louange » l’objet de ses pensées, et vis-à-vis du souvenir même d’Anne si amoureuse de la vie.

En 1833, les Missions Baptistes lui envoient trois nouveaux couples missionnaires, mais aussi lui enjoignent de s’établir dans le climat plus sain de Moulmein pour y terminer sa traduction de la Bible, objectif prioritaire. Il s’apprête à répondre vertement, et c’est une nouvelle fois Sarah survenue en urgence qui parvient à le convaincre de la priorité à accorder à sa santé pour la traduction de la Bible, de la solidité de l’implantation de l’église à Rangoon où il n’est donc pas indispensable, d’obtenir dans un premier temps l’établissement de l’un des couples missionnaires à Ava tout près de la capitale, et d’abandonner Rangoon pour l’année qu’il lui faudra pour achever sa traduction.

En remontant le fleuve en route vers Ava, il rencontre à chaque étape des candidats au baptême gagnés suite aux brochures distribuées 2 ans plus tôt. Du roi, il obtient contre son départ immédiat l’installation du jeune missionnaire à Ava. A Moulmein, il se remet avec acharnement à sa traduction, s’échappant parfois une semaine avec quelques disciples pour prêcher l’évangile aux Karens dans la jungle.

L’évangélisation des Karens

Désormais l’évangélisation des Karens va prendre une place centrale dans son ministère et dans celui de toute la mission. Cette nouvelle orientation tout à fait imprévue avait commencé à se développer, nous l’avons vu, dans le cadre du travail confié au couple Boardman, et c’est eux qui en avaient recueilli les premiers fruits très encourageants. Et voici qu’Adoniram, qui toutes les premières années avait vu son labeur couronné seulement de quelques rares conversions, un peu plus les années après la guerre anglo-birmane, voit désormais dans la mission les gens se tourner par centaines, par milliers vers Christ, dans une œuvre à laquelle il a personnellement assez peu de part directe.

Le peuple Karen est une de ces petites ethnies qui vivent retranchées dans les montagnes qui entourent le bassin de l’Irrawady, la grande plaine centrale qui est le domaine des Birmans. Originaires des confins de la Mongolie, ils émigrèrent de là vers le XII° siècle pense-t-on jusqu’à la Birmanie centrale dont ils furent les premiers occupants avant d’en être refoulés à l’arrivée des Birmans vers les régions accidentées et forestières du sud-est du pays et du Tenassérim, en bordure du Siam. Laborieux, peu ambitieux et à l’écart des grands courants civilisateurs du sud-est asiatique, ils formaient une population méprisée des Birmans et tenue par eux pour arriérée.

Judson était le premier missionnaire à établir le contact avec eux en 1827, lorsqu’il racheta la dette et fit libérer l’un de ses premiers convertis. L’esclave affranchi, Ko Tha Byu,  était un illettré qui parlait à peine le Birman, un véritable bandit qui avait perdu le compte des victimes de ses meurtres. Sa conversion fut un changement radical. Bientôt baptisé, il se mua en un évangéliste, rugueux et indiscipliné, mais brûlant de zèle, et Judson n’hésita pas en 1828 à l’envoyer avec les Boardman pour apporter la bonne nouvelle à ses frères de race. Peut-être Ko Tha Byu se souvint-il de certaines « traditions des Anciens » de son peuple, en tous cas celles-ci jouèrent certainement un rôle dans l’accueil étonnamment favorable que rencontra sa prédication. Les Karens croyaient en un Dieu unique, éternel, tout-puissant, créateur du mondequi les avait rejetés suite à une transgression dont le récit suit de près celui de la genèse. Mais une prophétie annonçait la venue d’un homme blanc porteur du livre de la vérité qui rétablirait leur relation avec Dieu.  L’évangile rencontra là une population toute préparée à entendre ce message, et non seulement les Karens répondirent en foule à l’appel qui leur était adressé, mais la nouvelle précéda souvent la venue des évangélistes, qui trouvaient à leur arrivée des gens qui par dizaines ou plus demandaient le baptême.

Par la suite, les Karens n’ont pas tardé à former des évangélistes qui se sont chargés d’apporter la Bonne Nouvelle aux autres ethnies périphériques de la Birmanie, avec parfois un succès éclatant.  Au XX° siècle, ils recueilleront nombre de boat people évadés du Vietnam communiste, lanceront des équipes de secours vers les autres ethnies éprouvées par les attaques de l’armée birmane. Suite à l’indépendance birmane en 1948 et à des massacres dirigés contre eux par l’armée birmane, le pays Karen fait sécession pour obtenir son autonomie. Il s’en suivra une guerre  interminable et impitoyable frisant le génocide jusqu’à ces toutes dernières années. En dépit de tout cela le Myanmar (nom actuel de la Birmanie), et cela est dû principalement au contingent karen, est le troisième pays au monde pour les effectifs baptistes, juste derrière les Etats-Unis et l’Inde.

Début 1834 la traduction de la Bible est enfin achevée : elle sera imprimée l’année suivante. Adoniram a enfin osé faire sa demande à Sarah et ils se marient également en 1835. Ils auront huit enfants dont cinq survivront. En 1845, la santé de Sarah se dégrade et les médecins recommandent un retour en Amérique. Le couple s’embarque pour le seul séjour aux Etats Unis que fera Adoniram de sa longue carrière, mais Sarah meurt en route à Sainte Hélène en septembre 1845. Au pays il est accueilli et fêté comme une célébrité. Il fait une tournée sur toute la côte est pour promouvoir l’activité missionnaire. Une maladie pulmonaire fait qu’il peut à peine chuchoter et doit recourir à un assistant pour s’adresser au public.

Les dernières années :

En juin 1846, Adoniram se marie pour la troisième fois, à l’écrivaine Emily Chubbuck qui avait été chargée de rédiger la vie de Sarah. Ils ont une fille en 1847.

Judson finit par développer une grave maladie pulmonaire pour laquelle on lui prescrit un voyage en mer. Le 12 avril 1850 il s’éteint en mer dans le golfe du Bengale à 61 ans, après 37 ans dans le service missionnaireIl laisse en Birmanie cent églises et plus de 8000 croyants. Outre la traduction de la Bible et la grammaire susmentionnée, il met en place le tout premier dictionnaire Birman-Anglais. La partie Anglais-Birman, interrompue par sa mort, sera complétée ensuite.

Note : Pour rédiger cette notice, je me suis largement servi de l’ouvrage d’Honoré Wilsie Morrow « Splendeur de Dieu »,  Editions CLC, mais son silence tant à propos de la jeunesse d’Adoniram avant son arrivée en Birmanie que de la fin de sa vie après son mariage avec Sarah Boardman m’a conduit à avoir recours à l’article de Wikipedia, traduction française très approximative et à peine lisible d’une version anglaise elle-même sérieuse et solidement documentée.

Photo d’Adoniram Judson : tirée du site Wikipédia.

Article réalisé par Jean-Claude Meylan.