Biographie de Jean-Baptiste Crétin (1813 – 1893)
Le grand pionnier du baptisme français
Passablement, et bien injustement, oublié aujourd’hui, affublé d’un patronyme qui prête à rire, (et qui jamais ne fut plus mal approprié !) cet humble disciple du Christ, par son talent de controversiste et les innombrables brochures de réfutation des « erreurs » du catholicisme et de présentation des articles de la foi baptiste qu’il rédigea, mais surtout par l’engagement héroïque de toute une vie fut l’un des principaux artisans, incroyablement laborieux et persévérant au sein d’une population au mieux indifférente mais souvent hostile, de l’implantation et de l’édification du baptisme naissant, surtout dans le Nord de la France et la Picardie. Pasteur à Lyon dans les premières années de la Troisième République, son parcours croisa celui du tout jeune Ruben Saillens, qui devint son gendre.
Catherine Crétin née Beaucamps, mère de Jean-Baptiste :
L’histoire de la mère de Jean-Baptiste nous entraîne fort loin, sinon du point de vue géographique (nous restons dans le Nord, où se déroulera une grande part du ministère de Jean-Baptiste), du moins de celui de la situation historique (de la naissance du pasteur-évangéliste, à la fin de l’Empire napoléonien, nous rétrogradons à 1785, quelques années avant la Révolution, soit dans un autre monde !) et surtout du mouvement baptiste (qui à cette date n’existe pas encore en France). Mais elle est indispensable à retracer, car c’est en elle que s’enracine le parcours surprenant et remarquable de son fils.
Catherine naît donc en 1785 à Orchies dans une famille de riches cultivateurs, mais la promesse d’un destin plutôt enviable ne tarde pas à tourner court : en effet elle devient orpheline de mère à l’âge de cinq ans, et bientôt, son père s’étant remarié, le souffre-douleur de sa marâtre qui ne l’a recueillie que pour l’aide qu’elle pouvait apporter. Elle est alors une jeune catholique très pieuse et trouve dans un culte ardent à la sainte Vierge une consolation à sa misère. Pour fuir ces mauvais traitements, elle se place et finit par échouer chez une tante en contact avec le protestantisme. C’est ainsi qu’un vieux cousin lui montre la Bible, où elle découvre avec horreur (en lisant le Second Commandement) la dimension idolâtre de sa piété. Cette conversion offre à sa famille un motif supplémentaire de la persécuter et de la chasser définitivement, tandis que du côté protestant elle est loin de recevoir le soutien qu’elle pouvait attendre. Nous sommes au lendemain de la Révolution : le protestantisme est depuis peu légal, mais il sort à peine de deux siècles de persécution, et il est fort peu zélé. Du reste, la propagande est interdite, et il n’y a guère de limite aux brimades que la grande majorité catholique s’estime en droit d’infliger à ceux qui la contestent. Elle trouve asile dans une « famille » protestante : un maître tisserand veuf, Jean Crétin, qui vivait avec sa sœur. Elle y mène une vie indépendante, gagnant sa vie en tant que fileuse, mais à la mort de la sœur, elle se croit obligée d’épouser Jean, pourtant beaucoup plus âgé qu’elle. Ils ont eu deux enfants, Louise, et donc Jean-Baptiste, en 1813.
De la conversion de la mère à celle du fils :
Cependant, Catherine ne tarde pas à déchanter à l’égard de l’église réformée. C’est que son mari n’est protestant que par adhésion traditionnelle. Il dissipe au jeu les biens de la famille, obligeant Catherine à travailler pour gagner la vie de ses enfants. C’est par sa fille Louise, qui découvre la foi évangélique dans une petite assemblée fondée à Nomain par Henri Pyt (dont on peut trouver la biographie sur notre site dans une autre rubrique de la même section) que Catherine trouve enfin cette famille spirituelle baptiste qui lui permet de mettre en adéquation son vécu avec les vérités bibliques dont la découverte avait apporté un tel espoir dans sa vie. Mais Jean-Baptiste, de tempérament batailleur, et dès son plus jeune âge adonné à la controverse anti catholique, invoquant la fidélité au protestantisme familial, marque une opposition obstinée. Par ailleurs, il était vif et intelligent, mais n’aimait pas l’étude, et commençait à suivre le mauvais exemple paternel en s’adonnant au jeu. Surtout, il n’était pas prêt à partager l’opprobre qui stigmatisait socialement les « Dissidents ».
C’est à l’âge de 16 ans que sa vie va finalement basculer. La douce Louise, sa sœur, le suppliait souvent d’accepter le salut offert en Jésus-Christ. Un beau jour celui-ci, excédé, lui répond en la giflant. Mais aussitôt, bien que trop orgueilleux pour lui demander pardon, il en ressent une intense culpabilité et une grande honte de sa brutalité. Profondément ébranlé, il se rend à l’assemblée baptiste et là, la question du baptême ayant été abordée, il est bien obligé de se rendre compte que les textes, qu’il se plaisait à invoquer contre les catholiques, ne vont aucunement dans le sens du baptême des enfants. A la conviction de péché s’ajoute alors l’horreur de la perdition, au point qu’il tombe en syncope et croit se voir mourir. Il faudra encore des mois de détresse morale jusqu’à ce qu’enfin l’assurance de son salut lui apporte la joie, la paix de ceux qui se savent Enfants de Dieu. Entretemps il a beaucoup changé (en bien !) dans son comportement.
C’est donc en 1829 qu’il reçoit le baptême par un Monsieur Caulier, disciple de Henri Pyt. C’est historiquement la fin de la Restauration peu avant que le roi Louis-Philippe arrive au pouvoir, et pour Jean-Baptiste le début d’un apostolat qui s’étendra jusqu’à sa mort, à la fin du siècle.
Débuts et formation :
De suite les frères, sans égard pour sa jeunesse, l’embauchent pour parler dans les réunions d’évangélisation où du reste il n’est pas déconcerté et où son talent pour l’argumentation trouve à s’employer. Il y va accompagné de son ami d’enfance JB Dubus, converti à son tour, son futur beau-frère (il épousera Louise) et père de celui qui, bien plus tard, amènera Ruben Saillens (voir sa biographie sous cette rubrique) au baptisme, et, encore plus tard en 1880, dirigera à Marseille une école d’évangélistes fondée par le même Ruben Saillens .
Il avait une position prometteuse dans les Ponts et Chaussées : il l’abandonne sans regret, fait des études à Paris, puis dans le Nord, sous la direction d’un missionnaire américain.
C’est ainsi qu’il se retrouve missionnaire et pasteur au service de la société missionnaire baptiste américaine qui à, cette époque n’a pas les moyens de payer décemment son personnel : pour accomplir dans des conditions moyenâgeuses une tâche de pionnier il perçoit un traitement de famine, 600 F par an. Il est en poste d’abord en Picardie, aux alentours de Chauny, de 1836 à 1840. Il parcourait les campagnes, distribuant Nouveaux Testaments et Bibles, prêchant en toutes occasions. Et puis au retour dans son logis, il lui fallait encore faire face aux tâches ménagères et de subsistance. Dans son deuxième poste, près de Laon, on lui conseilla de se marier : il entendit parler d’une jeune fille, Aurore Lemaire, convertie (elle aussi !) par le réveil Pyt. Non sans s’assurer d’être dans la volonté de Dieu, il l’approcha. Le mariage eut lieu au printemps 1843. Il fallait qu’il eût fait un heureux choix, pour trouver une épouse qui accepte sans se plaindre aucunement cette vie de sévères privations, de solitude du fait des interminables absences de son mari lors de ses tournées missionnaires, et d’angoisses parce qu’alors souvent il ne mangeait pas, sans parler de la crainte d’une arrestation. Telle elle fut pour lui au long des années !
Son troisième poste fut au Meux, près de Compiègne, depuis mai 1846. Là par exemple, faute des moyens de prendre la diligence, c’est à pied qu’il faisait parfois une quarantaine de kilomètres pour se rendre dans une maison où on lui avait préparé une réunion. Il arrivait que le curé de la paroisse l’y attende de pied ferme, armé de la Bible de Sacy, « la vraie », mais c’est JB Crétin qui venait au secours du malheureux prêtre, bien incapable de s’y retrouver dans un texte où il n’avait pas de repères, en lui indiquant « charitablement » des passages … qui condamnent les pratiques du catholicisme. Humilié et furieux, le curé battait en retraite, à la joie des assistants, non sans avoir excommunié tout le monde, excellente occasion pour l’évangéliste de prêcher la conversion !
De telles scènes lui valurent naturellement une réputation de savant, mais aussi de violentes persécutions, voire des tentatives de lapidation.
Cette vie de fatigues, de privations et d’exposition aux intempéries finit par avoir raison de sa robuste santé : il contracta une pleurésie qui le contraignit à trois mois de repos. Il en profita pour compléter son instruction. Infatigable lecteur, il ne cessait de collecter la matière dont il nourrissait les innombrables brochures de propagande qu’il a publiées et répandues largement. C’est lui qui amena à la conversion la plupart des pionniers baptistes du Nord.
Une statistique pour l’année 1850 résume bien dans sa forme lapidaire les conditions de l’apostolat dans ce début déjà bien confirmé du ministère de Jean-Baptiste Crétin. Elle ne précise pas le poste concerné, dans l’Oise (vraisemblablement Le Meux) : « 12 lieux visités, 35 membres (de l’Eglise), 12 baptêmes ». Non pas des succès mirifiques ni des foules électrisées, loin de là, mais quelques personnes, patiemment convaincues une à une, au prix de bien des kilomètres parcourus à pied !
En 1856, dernier poste dans l’Oise à Verberie. C’est là que naît sa cinquième et dernière fille, Jeanne.
Retour dans le Nord :
En 1862, Jean-Baptiste est nommé pasteur dans sa région natale, le Nord, à Denain. C’est l’occasion d’approcher le milieu des mineurs dans cette ville charbonnière. Dans les visites qu’il effectue, souvent accompagné de la toute jeune Jeanne, il est reçu avec la frugalité des moyens de cette population tenue dans la misère, mais avec bienveillance et cordialité.
A l’égard de ses filles, Jean-Baptiste se montre un éducateur sévère (comme le veut l’époque), mais aimant et plein de tendresse. Il tient à leur donner la meilleure instruction, ce qui est problématique pour un protestant, sachant que celle-ci est dispensée dans les écoles catholiques, alors pratiquement les seules, et où la pression religieuse est insidieuse et constante. Il n’hésite pas à les envoyer à Neuilly-sur-Seine, puis à Sainte-Foy, à l’Ecole Normale Protestante, préparer leur brevet d’institutrice. En filigrane on devine que la famille bénéficie désormais de revenus un peu moins misérables que ceux de Jean-Baptiste au début de son ministère, qui n’auraient pas permis d’offrir aux filles une telle éducation. Je pense qu’entretemps le souci de la mission et de la mission en France n’a fait que s’accroître an sein du mouvement baptiste américain, dégageant les moyens permettant désormais de rémunérer les pasteurs de manière moins extrême dans la frugalité.
Mais en 1861 éclate aux Etats-Unis la guerre de Sécession, qui va durer jusqu’en 65. Du coup, la société baptiste américaine ne peut plus soutenir ses missionnaires en France. Du jour au lendemain la famille Crétin se retrouve sans ressources. Pas question pour Jean-Baptiste d’abandonner le ministère, comme la nécessité semble pourtant s’en imposer. Il refuse même l’offre (généreuse : le cousin devait faire fortune quelques années plus tard !) du cousin Beaucamp de l’associer à la création d’une usine d’allumettes. Ils acceptent pourtant, avec reconnaissance, l’aide apportée par la grand-mère Crétin, donc Jacqueline dont la vie est évoquée plus haut, et qui devait toujours tenir un petit commerce d’alimentation dans la région de Nomain. Mais on s’en doute, cette aide si généreuse ne pouvait être que bien insuffisante. Les jeunes filles sont rappelées de leur pension en région parisienne, et les plus jeunes (sauf Jeanne encore enfant) doivent interrompre leurs études : par leurs travaux de couture elles contribuent à sauver la famille de la famine. Jean-Baptiste pensa bien, comme d’autres collègues baptistes, à s’expatrier pour les Etats-Unis, mais la maman plaida pour garder la famille en France, et l’exemple de la famille Crétin encouragea d’autres familles de pasteurs baptistes à persévérer dans leurs efforts au bénéfice de la France.
La crise passe ; l’Amérique reprend ses paiements. Mais à l’épreuve financière succède en 1867 un drame familial. La quatrième des cinq sœurs Crétin, Nérée, contracte à Paris la fièvre typhoïde. Elle en meurt à son retour dans le Nord à l’âge de quatorze ans. Quand la jeune fille eût rendu le dernier soupir, le père eut un long évanouissement. Une des conséquences fut que Jeanne, la dernière des sœurs reçut l’instruction à la maison, où Eunice, son aînée de dix ans, se consacra à son éducation. Jeanne devait avoir l’occasion de lui en témoigner sa reconnaissance dix ans plus tard en retardant son mariage avec Ruben Saillens pour venir la seconder à Versailles où elle venait d’ouvrir un pensionnat pour jeunes filles (en 1877).
Le pastorat à Lyon–Saint Etienne (1868 – 1877) :
L’année suivante (1868), Jean-Baptiste Crétin est appelé à la tête d’une Eglise importante, et cette date marque pour lui ainsi que pour toute sa famille un tournant. C’est que le mouvement baptiste français lui aussi arrive à une charnière (disons 1870) où, selon Sébastien Fath, le baptisme pionnier (que celui-ci fait débuter en 1832 – à cette date, Jean-Baptiste n’était baptisé que depuis trois ans !) laisse place au baptisme institutionnalisé. Au plan historique, la phase autoritaire du Second Empire (un pouvoir très sourcilleux à l’encontre de toute tendance religieuse qui se situe hors du cadre concordataire (lequel lui permet, en salariant les ministres des cultes, de tenir à sa botte les Eglises officielles), et les baptistes sont hors de ce cadre) a laissé la place à l’Empire libéral plus modéré depuis près de 10 ans, mais le régime arrive à bout de souffle et va tomber. A cette date, les baptistes dans leur ensemble totalisaient environ 2000 fidèles dont 700 membres baptisés par immersion et une dizaine de communautés. C’est infime à l’échelle de la France, mais assez considérable par rapport à l’effectif initial de zéro, et Jean-Baptiste y est personnellement pour beaucoup. Et puis, le baptisme a commencé à se répandre en France en-dehors de sa région originelle du Nord : à Paris, à Lyon-Saint-Etienne, en Bretagne (Morlaix, Trémel), à Mulhouse.
En septembre 1873, à la faveur d’un voyage dans le Nord, il a l’occasion d’assister à Paris à l’inauguration de la chapelle baptiste du 48, rue de Lille, un bâtiment considérable qui admet des auditoires de 700 personnes (encore aujourd’hui l’une des grandes Eglises baptistes parisiennes), ce qui lui permet de constater les progrès accomplis depuis la toute première chapelle baptiste parisienne qu’il avait vue en 1830.
Toutes ces années, Jean-Baptiste Crétin à Lyon et Saint-Etienne développa jusqu’en 1877 une œuvre d’évangélisation rendue difficile par la méfiance des populations, plus vive que dans la région de Denain, et par la concurrence protestante locale.
Fin 1873 donc, l’Eglise baptiste lyonnaise compte 23 membres. Celle de Saint-Etienne, où il poursuit parallèlement des réunions, atteint un degré de maturité qui permet d’envisager d’y installer un pasteur, ce qui sera fait l’année suivante.
Mais un développement tout à fait inattendu dans l’Ain, près de Trévoux, fut permis par l’entrée en scène d’un personnage au départ étranger au baptisme, Paul Besson. Ce jeune pasteur suisse originaire de l’Eglise réformée du canton de Neuchâtel devait, bien plus tard, en Argentine, contribuer considérablement au développement des baptistes de ce pays. Mais pour l’instant, il était appelé avec deux autres pasteurs à l’Eglise libre de Lyon. Or cette Eglise avait été fondée suite aux prédications revivalistes d’Adolphe Monod, lui-même de tendance baptiste, mais ce n’était pas le cas de cette Eglise lyonnaise. Cette tendance baptiste initiale se développa dans l’annexe de l’Eglise libre de Saint-Didier-de-Formens au point qu’elle choisit de devenir baptiste. Paul Besson fut dépêché pour ramener les dissidents de Saint-Didier « dans le droit chemin » du baptême des enfants. Or, non seulement il n’en fit rien, mais il fut lui-même gagné aux positions baptistes, de sorte qu’il démissionna, et vint renforcer l’équipe de JB Crétin. Cette même année 1874, JB Crétin établit pasteur à Saint-Etienne le suisse CA Ramseyer.
Les problèmes se multiplièrent au contraire l’année suivante, en 1875. Dès janvier un incendie détruisit partiellement la demeure des Crétin. Puis les mois suivants, Paul Besson fut à deux reprises condamné à des amendes pour avoir distribué des traités (!), et même emprisonné trois jours. Enfin, contrecoup sans doute des événements de l’année précédente, une grande controverse sur le baptême entre pédobaptistes (partisans du baptême des enfants) de l’Eglise libre de Lyon et baptistes de l’Eglise de JB Crétin épuisa infructueusement (car chacun sans surprise campa sur ses positions) les énergies dans l’une et l’autre Eglise.
En fait, l’événement le plus riche de conséquences pour le baptisme était survenu dès 1871 à Lyon, mais il ne concerna pas à proprement parler le pastorat de Jean-Baptiste Crétin sinon indirectement. En revanche il le concerna au plus haut point au plan familial. Ce fut la rencontre d’une autre famille, le père et le fils, venus d’un tout autre horizon. François Saillens et son fils Ruben étaient cévenols, issus d’une terre protestante entre toutes, d’un protestantisme un peu somnolent et pas toujours insensible aux doctrines libérales, mais secoué dès avant le milieu du XIX° siècle par l’onde de choc du Réveil de Genève (voir à ce sujet la biographie d’Henri Pyt) d’où avaient résulté diverses dissidences, relativement modérées comme les Eglises Libres (détachées de l’Eglise Réformée, mais attachées à l’autorité de la Bible), voire beaucoup plus radicales, comme les Frères (ou darbystes), préconisant une piété austère et une coupure radicale avec le monde profane. La grand-mère très aimée de Ruben (qui était orphelin de mère depuis l’âge de deux ans) était une darbyste fervente. Et le père, François Saillens, arrive à Lyon en tant qu’évangéliste de l’Eglise Libre de Lyon. Mais auparavant, en poste à Marseille, il avait fait la connaissance d’un autre chrétien militant comme lui, et comme lui adversaire du baptême des enfants, JB Dubus, fils de l’ami d’enfance de Jean-Baptiste mentionné plus haut. Or ledit JB Dubus avait épousé Lydie, l’aînée des filles Crétin. C’est donc tout naturellement que le père et le fils s’intègrent doucement à la sphère baptiste, qui n’était pourtant absolument pas leur appartenance d’origine. Ils viennent souvent assister au culte baptiste dans l’Eglise de la famille Crétin.
Le rapprochement s’accentue trois ans plus tard au niveau de la génération des enfants, et ce dans un cadre qui n’est ni baptiste, ni libriste, mais interdénominationnel, les Unions Chrétiennes de Jeunes Gens (UCJG, sigle qui en Anglais donne YMCA : l’association existe encore sur le plan mondial, et ce second sigle a fait le titre d’une chanson tout à fait profane qui a eu grand succès il y a pas mal d’années). En 1871, à l’Exposition agricole, industrielle et artistique de Lyon organisée au lendemain de la guerre vient tenir un comptoir de librairie (chrétienne) un colporteur, ancien ouvrier et d’origine lorraine (probablement réfugié car chassé de sa terre natale par l’occupation allemande) du nom de Eck. C’est par l’intermédiaire de cet homme, humble mais bouillant de zèle pour l’évangélisation, et qui assiste aux réunions de l’Eglise Libre, que commence un véritable réveil au sein des UCJG de Lyon. Ruben Saillens est bientôt touché et, jusque-là relativement indifférent au point de vue religieux, connaît une sincère repentance, et bientôt un profond désir de servir Dieu. Mais le mouvement est collectif, et les jeunes gens, bientôt suivis des jeunes filles, décident d’un moyen d’évangélisation de la jeunesse qui est en même temps un service dont l’utilité sociale était urgente en ce temps-là : il s’agit de lancer des écoles du dimanche populaires (en fait, des écoles destinées à dispenser les savoirs de base, avec un volet « d’éducation religieuse »). A l’époque le besoin d’instruction était criant dans les milieux populaires, à la différence des milieux plus bourgeois ou marqués par la religion, qui trouvaient leur bien dans l’enseignement confessionnel, le seul convenablement organisé. Ces écoles sont instaurées dans les quartiers de Lyon, et le jeune Ruben Saillens est bientôt à la tête du mouvement, tandis que deux des sœurs Crétin, Evodie et Jeanne sont les chevilles ouvrières des écoles de filles. Ruben est alors âgé de seize ans, et Jeanne de quinze, et ce compagnonnage militant ne manque pas de sceller un rapprochement déjà plus qu’ébauché par ailleurs.
Bien peu d’années plus tard, Ruben est devenu le jeune prédicateur plein de promesses que tout le monde veut entendre, et bientôt la personnalité la plus célèbre de tout le monde protestant de cette époque. Il a épousé Jeanne en août 1877 (ils ont alors 22 et 21 ans) au terme de fiançailles rallongées par les voyages de formation croisés qu’ils font en Angleterre, devenant ainsi le gendre de Jean-Baptiste Crétin : c’est donc dans la biographie de Ruben Saillens que nous donnons par ailleurs que vous lirez le plus commodément tout ce qui concerne les relations entre le patriarche pionnier de l’évangélisation et le jeune couple, puis jusqu’à un âge avancé.
Le pastorat à La Fère (1877 – 1893) :
L’Eglise baptiste de La Fère (Aisne) avait déjà commencé, depuis les premières années de la Troisième République, à tirer un trait sur la période de persécution – virant jusqu’à l’espionnite et à la suspicion générale à l’encontre des baptistes lors de la guerre franco-prussienne –qu’elle avait connue sous l’Empire.
Depuis 1873, elle disposait d’un temple de briques rouges très bien situé.
Elle prit comme un nouveau départ sous la conduite de JB Crétin. Jusqu’au bout il poursuivit avec ardeur sa tâche de pasteur et d’évangéliste. Comme auparavant, il rédigea des traités de controverse et d’édification, menant une abondante correspondance. Et puis c’était le quotidien de visites pastorales, d’évangélisation de rue, de sermons et d’exhortations, sans compter lectures et prière pour son compte personnel.
Il tient non seulement les réunions à La Fère, mais encore dans diverses annexes du Laonnais , avec des auditoires pouvant s’élever parfois à 150 personnes.
Encore en 1891, en octobre il baptise trois personnes, et note que la fête de Noël est « grandiose », car une vingtaine de personnes se sont déplacées de Chauny pour venir y assister.
En 1892 pourtant, il doit laisser de plus en plus à Revel, son assistant, les rênes de l’Eglise, et c’est ce dernier qui le 1° mai baptise sept personnes. Souffrant de l’estomac, dans un état général délabré, il peut encore faire une visite et distribuer des traités le 2 décembre. Un mois plus tard, il s’éteint à La Fère, dans l’Aisne, non loin de son nord natal, au seuil de 1893. Son épouse Aurore, lui survit huit ans et décède en 1901. C’est Revel qui prend naturellement sa succession, consacré en avril 1893 par Ruben Saillens.
La présente notice doit beaucoup d’une part à l’ouvrage de Sébastien Fath paru en 2001 intitulé « Une autre manière d’être chrétien en France : Socio-histoire de l’implantation baptiste (1810 – 1950) aux Editions Labor et Fides, d’autre part, du fait de l’imbrication des deux familles, à la biographie, écrite par Marguerite Warguennau-Saillens sur ses parents : Ruben et Jeanne Saillens ; Evangélistes, aux Editions Ampelos (2014) (Edition originale parue en 1947 aux éditions Les Bons Semeurs