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John Smyth : fondateur du baptisme

John Smyth

John Smyth (15.. ? 1612) Le Fondateur du Baptisme

   La plupart des confessions ou mouvements  religieux se réclament de fondateurs prestigieux à la personnalité charismatique. Les luthériens ont Martin Luther comme leur nom l’indique, et les réformés Jean Calvin. Les méthodistes ont John Wesley, et les salutistes William Booth. Quant aux baptistes, ils se réfèrent rarement à leur fondateur, le plus souvent ils se disent simplement chrétiens évangéliques. Du reste, ils seraient bien en peine de le faire, car celui-ci est bien peu connu, même parmi eux. Il s’agit en fait d’un fondateur « par défaut », déniché par les historiens parce qu’il en faut bien un.  Celui-là –John Smyth précisément – n’était certes pas dépourvu de personnalité (il en faut, pour entrainer avec lui dans l’exil outre-mer, comme nous le verrons,  toute une communauté) mais ce n’était pas une personnalité de premier plan, il n’a pas laissé d’écrits fondateurs, et du reste, beaucoup des baptistes d’aujourd’hui auraient quelque peine à se reconnaître dans certaines de ses positions, nous le verrons aussi.

Telle qu’elle est, cette situation pour le baptisme n’est pas désavantageuse. Après tout, la référence à un fondateur prestigieux tend à reléguer au second plan l’appartenance chrétienne. Et puis, elle peut être restrictive, sinon réductrice. Une certaine diversité baptiste peut,  il est vrai ouvrir la voie à des dissensions, voire à des polémiques et même des divisions comme cela a été le cas parfois dans le passé, et ce danger subsiste peut-être, mais l’accent mis sur un retour au christianisme dans son authenticité primitive, et à une rencontre personnelle avec Dieu plutôt qu’un rattachement à une théologie ou à une personnalité si exemplaire fût-elle nous paraît une bonne chose. Et puis elle démontre que le baptisme n’est pas une invention récente, une lubie de théologien plus ou moins contemporain en mal d’originalité, voire un épiphénomène  : il s’enracine dans une histoire pluri-séculaire.

 

Formation :

La notice de Wikipédia le fait naître en 1570, bien loin de la date de 1554 indiquée par ma source : une date de naissance bien incertaine donc. Comment ce jeune garçon d’extraction populaire orphelin de naissance en vient-il à être distingué, à une époque où ce n’était certes pas le destin ordinaire d’un enfant de sa condition, au point d’entreprendre des études de théologie à  la célèbre Université de Cambridge ? Il dut manifester des dispositions bien singulières pour que la pensée pût seulement en venir à l’esprit, et j’estime peu vraisemblable que ce pût être dans sa prime enfance, ce qui m’incline à préférer la date la plus ancienne. En revanche je n’ose rien inférer à partir du choix d’une orientation vers la théologie, qui paraît assez naturelle à l’époque de la part d’un jeune homme d’origine modeste désireux de trouver place correspondant à des compétences universitaires dans la société de son temps assez peu favorable à l’ascension sociale des plus humbles. La suite en tous cas montrera que les études théologiques sont pour lui bien autre chose qu’un moyen de parvenir socialement, ce qui indique un fond de profonde conviction qui ne peut naître que d’une expérience de foi qu’il serait aventureux dans l’état de notre ignorance de dater (avant, pendant, ou à la suite de ses études ?) et encore davantage de caractériser.

Toujours est-il  qu’on sait qu’il finança ses études en travaillant comme domestique au service d’un professeur. Il est diplômé en 1590, puis en 1593, et il est ordonné pasteur (anglican, il va sans dire !) en 1594.

Pasteur anglican, puis non-conformiste : (1594-1607)

Le pastorat n’est pas pour lui simplement une situation sociale ou le confort d’une profession. Smyth est habité d’une exigence de vérité et a profondément à cœur la communauté dont il a la responsabilité, à Gainsborough dans le Lincolnshire, c’est-à-dire à une centaine de kilomètres au nord de Londres sur le littoral de la mer du Nord. Et semble-t-il assez tôt il fait preuve d’une réelle indépendance d’esprit. Peut-être fait-il des lectures, ou des rencontres, qui l’orientent. En tous cas dans l’exercice de son sacerdoce il ne tarde pas à constater les nombreuses et graves imperfections de l’Église d’Etat. Peut-être sa situation sociale un peu marginale de par ses origines le rend-elle plus sensible à ces défauts, mais il ne peut supporter de représenter plus longtemps une Eglise avec laquelle il est en profond désaccord, et sans se soucier des conséquences sociales et humaines que cela entraînera il rompt avec l’Église anglicane et devient pasteur d’une Église congrégationaliste (donc indépendante !). Peut-être est-ce, mais je n’ai pu le vérifier, sa propre communauté qui l’ entraîne dans sa sécession.

Le résultat en tous cas ne se fait pas attendre. Sur le plan pratique et personnel, avec la perte de ressources consécutive à l’abandon d’une charge d’état qui assurait sa sécurité financière, et l’obligation d’être pris en charge par la communauté. Mais surtout, sur le plan de la sécurité tout court, l’abandon de la protection de l’État garant de l’Église pour entrer dans une dissidence non tolérée et s’exposer ainsi, lui et sa communauté, à une persécution qui ne manque pas de s’exercer. A cette époque, il a pour second un certain Thomas Helwys (né en 1550) qui partage ses idées. La persécution devient bientôt insupportable.

 

L’exil à Amsterdam : (1607-1612)

En 1607, John Smyth, Thomas Helwys, ainsi que les membres de leur Église s’embarquent et s’exilent à Amsterdam, connue alors dans toute l’Europe comme la terre de la liberté religieuse, et même de la liberté tout court, là où s’impriment en toute impunité tous les écrits qui sont ailleurs censurés et considérés comme interdits et subversifs. Mais c’est là aussi que trouvent refuge les croyants de communautés religieuses dissidentes par rapport aux Églises établies et majoritaires, croyants victimes ailleurs en Europe de persécutions. C’est bien cette liberté religieuse, celle de pratiquer librement leur foi, qu’ils viennent y chercher.

C’est ainsi que les membres de l’Église de John Smyth en viennent à rencontrer des représentants de communautés avec lesquels ils ne tardent pas à ressentir des affinités, à relever des croyances, des manières d’interpréter la Bible et de pratiquer la foi avec lesquelles ils sont en concordance, notamment des groupes « anabaptistes » et mennonites réfugiés là pour fuir les persécutions dans leurs pays d’origine, (Alsace, Suisse allemande, Wallonie notamment). John Smyth est ainsi amené lui-même à étudier la théologie anabaptiste, et notamment la doctrine rejetant comme contraire à la Bible le baptême pratiqué sur des nourrissons, et considérant comme seul valide le baptême sanctionnant une démarche de foi et une décision personnelle qui ne peut être que le fait d’adultes. Convaincu par cette argumentation, il adopte pour lui-même et entraîne l’adhésion de l’Église à la pratique du baptême des croyants en 1609. Autre article de foi  capital emprunté aux mennonites : le rejet de la Cène comme « sacrement » impliquant la croyance en la transsubstantiation catholique (l’hostie et le vin deviennent par la formule sacramentelle « corps et sang du Christ ») ou en la consubstantiation luthérienne (pain et vin le deviennent tout en restant pain et vin) : la Cène est considérée comme un mémorial du sacrifice du Christ.

 

L’acte de naissance du baptisme : (1609)

Comme la plupart des ancêtres et pères du baptisme et faute de mieux, il se baptise lui-même, puis baptise une quarantaine d’autres personnes membres de son Église. On pense que ce baptême fut pratiqué par aspersion : à ce point il ignorait la signification et donc l’importance soulignée depuis de l’immersion (encore aujourd’hui à ma connaissance dans certaines communautés mennonites il arrive que le baptême soit pratiqué par aspersion).  Le baptisme était né, de cette rencontre assez fortuite entre des dissidents et non-conformistes anglais, autrement appelés puritains, et les mennonites des Pays Bas, et de la fusion doctrinale qui en est résulté. La nouvelle Église qui se forme ainsi autour de Smyth comme pasteur assisté par Helwys est considérée aujourd’hui comme la première Église baptiste anglaise.

Poursuivant la réorganisation de l’Église selon sa conception, John Smyth paraît avoir défendu parfois des positions dans lesquelles l’immense majorité des baptistes d’aujourd’hui auraient peine à se retrouver. Le rejet de la liturgie qui semble avoir été le sien n’est pas ce qui fait problème : de telles tendances sont largement partagées chez les mennonites déjà, et en grande partie aujourd’hui  dans le monde évangélique. Mais dans son souci de promouvoir la spontanéité et l’inspiration directe du Saint-Esprit il semble avoir prétendu proscrire toute lecture biblique dans le cadre du culte du moins. Je doute fort qu’il ait pu trouver dans la théologie anabaptiste rien qui s’apparente à  un tel rejet du « sola scriptura » (l’Ecriture seule) qui est un des principes essentiels du protestantisme. Si  je ne craignais de commettre un anachronisme, je serais tenté d’invoquer des tendances quakers, disons « proto-quakers ». Au-delà de ces réserves, il y a peut-être là l’ébauche d’une réflexion qui pourrait être intéressante sur le don de prophétie, voire sur l’actualisation dans le présent du chrétien de la Parole de Dieu, mais l’imprécision des informations dont je dispose ne me permet évidemment  pas de me prononcer  sur la pertinence de telles hypothèses. En tous cas, on est contraint de relever dans l’organisation de cette Église baptiste primitive les traits d’une démarche personnelle de John Smyth et d’une théologie pour le moins hésitante.

 

Péripéties 

En 1610, tirant les conclusions somme toute logiques de leur démarche, Smyth et la majorité des membres de l’Église demandent à se joindre aux mennonites. Helwys alors ne le suit pas, et l’Église se divise en deux. Mais il semble aussi que du côté mennonite l’Église de Smyth n’ait pas reçu l’accueil attendu.

Smyth théorise la démarche religieuse à laquelle il a donné forme. Ce faisant, il est tout naturellement amené à reprendre dans des termes similaires les doctrines reprises à ce sujet des mennonites qui les avaient hérités eux-mêmes  des pères de la « Réforme Radicale », ces compagnons au XVI° siècle du réformateur Zwingli qui avaient été amenés les premiers à les formuler en protestation à la persécution dont ils ne tardèrent pas à être l’objet de la part même de leurs corréligionnaires qui auraient dû leur prêter assistance : stricte séparation  des Eglises et des états, non- ingérence des états dans les affaires religieuses, rejet des Églises nationales d’Etat, royauté du Christ sur l’Eglise, strict respect de la liberté de conscience et pluralité religieuse qui en est le corollaire …. « Le magistrat, écrit-il, n’a pas le droit de régler des questions spirituelles… Seul Christ est Roi et Magistrat de l’Église et des consciences. »

Mais Smyth ne se pose pas seulement en chef de communauté et en théologien. La mise en pratique de l’amour chrétien et du secours aux malheureux est également son souci : on raconte qu’une fois il donne son manteau à un malade nécessiteux.

John Smyth meurt en 1612, sans avoir pu régler la question de l’union avec les mennonites. Sans non-plus qu’ait eu lieu un retour au bercail de la faction qui avait suivi Helwys, et se trouvait alors peut-être encore à Amsterdam. Je n’ai non plus aucune information sur ce qu’il advint de son Église intégrée ( ?)aux mennonites après sa mort.

 

La destinée du groupe d’Helwys :

Qu’allaient décider les membres de l’Église scissionniste conduite par Helwys après leur refus de se joindre aux mennonites avec la majorité de l’Église ? On voit qu’ils ont pris le temps de la réflexion pour prendre une décision lourde de conséquences. Fuyant une persécution insupportable, ils avaient trouvé un refuge et goûté à la douceur de vivre en pratiquant leur foi en toute sécurité, et le plus simple était de continuer à jouir tranquillement de cette liberté. D’un autre côté, à Amsterdam ils s’exposaient à rencontrer quotidiennement les regards de reproche de leurs anciens frères en la foi, ravivant les blessures d’une séparation douloureuse. Surtout, à Amsterdam ils n’étaient plus qu’un tout petit groupe d’étrangers sans réelle perspective de croissance en tant qu’Église. Mais retourner en Angleterre, c’était se jeter à nouveau dans la fournaise.

Vers 1612 donc, le groupe d’Helwys reprend la mer à destination de l’Angleterre, sachant fort bien ce qui les attendait. Helwys organise des cultes à Spitalfields, un quartier de Londres qui à cette date semble-t-il  n’était pas encore vraiment urbanisé (il allait l’être seulement à la fin du siècle) : ainsi est créée la première Église baptiste sur le sol anglais. Courageusement, tenant à se mettre en règle, Helwys, publie dans un ouvrage un plaidoyer pour la liberté religieuse, dont il adresse un exemplaire au roi Jacques 1er d’Angleterre. C’est historiquement  la première demande en ce sens qui ait été publiée en Angleterre. Il affirme que le roi n’a pas le droit de nommer des responsables spirituels revêtus d’autorité sur le peuple. Pour toute réponse il est emprisonné, sans doute pour longtemps. On en sait très peu sur la fin de sa vie (il serait mort en 1616 ?).

Par la suite, la persécution, voire l’emprisonnement, n’ont pas empêché le témoignage des premiers baptistes anglais de se poursuivre, et finalement de se répandre. Pour référence, le voyage du Mayflower et des « Pères Pélerins » vers la Virginie aura lieu en 1620, une petite dizaine d’années après les événements ci-dessus rapportés.

 

Jean-Claude MEYLAN